La parodos

 

C’est l’arrivée du chœur qui entre par les côtés de l’orchestra. Les choristes utilisent un mètre très différent des parties dialoguées, ils chantent et dansent.

Importance dramatique de la parodos : c’est la réaction d’un groupe représentant l’humanité « normale » en face des héros qui sont sur scène.

 

1)      Le pathétique :

-         important champ lexical de la souffrance : mon âme inquiète se tend, d’effroi elle frisonne… de mille maux je porte en moi la souffrance… les femmes criant les douleurs de l’enfantement, jeunes épouses et mères aux cheveux blancs… elles pleurent, elles crient leurs douleurs intolérables… leurs sanglots… nos maux… me brûle, me harcèle au milieu des cris. L’évocation répétée de la fragilité des femmes contraste d’autant plus avec la description du mal, rapproché d’Arès, le dieu de la guerre qui est le monde des hommes.

-         anaphores expressives : aucune arme… aucun fruit… aucune vie / nulle larme… nulle pitié / je voudrais… je voudrais.

-         métaphore filée de la flamme, qui désigne d’abord le mal (la flamme dévoratrice [sphinx]… plus fougueux que des flammes indomptables [âmes des morts]… me brûle [Arès]), puis les divinités bienveillantes (le feu des éclairs de Zeus… je voudrais qu’étincellent les flambeaux qui accompagnent Artémisbrûlant des feux fulgurants de sa torche [Dionysos]). On va donc ainsi de la crainte vers l’espoir.

 

2)      Mise en place des rapports avec les dieux :

-         La parodos est aussi une prière pressante, un appel au secours. La parole du chœur présente ainsi deux aspects : une supplication aux dieux protecteurs (remparts contre la mort), une malédiction contre Arès assimilé au fléau, le plus méprisable des dieux.

-         La composition du texte distingue deux triades, au début et à la fin du texte : Athéna, Artémis et Phoibos (= Apollon) ; puis Apollon, Artémis et Bacchus (=Dionysos). Au centre du texte, on trouve le personnage d’Arès, lequel est d’abord rapproché d’Apollon (accords vibrants du péan), puis d’Athéna (fille de Zeus éclatante d’or, qui s’oppose au bronze guerrier), et enfin de Zeus. Cette disposition correspond donc à la répartition entre les supplications et la malédiction ; elle dessine également un système religieux dans lequel les différentes puissances des dieux s’équilibrent.

-         Or, le spectateur athénien voit immédiatement que les dieux dangereux sont supérieurs aux dieux protecteurs (Athéna et Zeus). De fait la dernière triade ne regroupe plus que des dieux réputés pour leur dangerosité : Apollon, Artémis et Bacchus.

 

3)      L’ironie tragique :

-         Mais il y a plus grave, le chœur ne voit pas que la prière qu’il adresse aux dieux est mal dirigée : un certain nombre de détails soulignent l’ironie tragique de cette parole.

-         D’abord la parole oraculaire est dite dès le début fille de l’Espérance : or l’Espérance est le dernier (et sans doute le pire) des maux que renfermait la jarre de Pandore (cf. Hésiode Les travaux et les jours v. 90-105 : La race humaine vivait auparavant sur la terre à l'écart et à l'abri des peines, de la dure fatigue, des maladies douloureuses, qui apportent le trépas aux hommes. Mais la femme, enlevant de ses mains le large couvercle de la jarre, les dispersa par le monde et prépara aux hommes de tristes soucis. Seule, l'Espérance restait là, à l'intérieur de son infrangible prison, sans passer les lèvres de la jarre, et ne s'envola pas au dehors, car Pandore déjà avait replacé le couvercle, par le vouloir de Zeus, assembleur de nuées, qui porte l'égide). L’espoir de délivrance qu’exprime le chœur est donc mauvais à la base.

-         Les divinités invoquées présentent, par couple, des traits qui rappellent et soulignent l’impureté d’Œdipe :

-         Athéna et Artémis ont comme point commun d’être farouchement hostiles à la sexualité ; or la sexualité anormale d’Œdipe constitue une partie de sa souillure.

-         Artémis et Apollon sont les dieux de la morts rapides, par l’arc qui est leur arme ; or précisément c’est Apollon qui envoie la peste sur Thèbes (comme sur l’armée grecque au début de l’Iliade). Ce couple est encore rappelé à la fin, non sans ironie, puisque le chœur souhaite qu’Apollon décoche mille traits invincibles,… ce qu’il fait précisément…

-         Artémis, d’abord rapprochée d’Athéna à cause de sa farouche virginité, est à la fin rapprochée de Dionysos avec lequel elle partage la sauvagerie : comme les ménades qui courent les bois dans leur délire, Artémis bondit sur les monts de Lycie.

-         Enfin, Apollon et Dionysos ont en commun de provoquer la manía, cette sorte de délire qui frappe aussi bien les gens qui ont bu le vin de Dionysos que la Pythie qui à Delphes rend ses oracles ambigus sous l’emprise d’Apollon.

 

Conclusion :

La parodos n’est donc pas un simple intermède musical. Elle souligne les forces en présence, et cela d’autant plus tragiquement que le chœur ne comprend pas la véritable situation. Tous les détails concourent à rappeler qu’Œdipe est un non-père, un non-fils, un non-mari, c’est-à-dire un monstre, et qu’il n’y a aucun espoir à avoir...