Sophocle, œdipe roi

Le récit du messager (v.1237-1285)

 

L’exodos correspond à ce qu’en dit Aristote dans la Poétique : « La tragédie, suscitant pitié et crainte, opère la purgation (catharsis) propre à pareilles émotions ».

 

1. Un récit pathétique (première fonction de la tragédie) :

-         Champ lexical très important des termes évoquant la souffrance et la pitié : le plus douloureux, tourments, infortunée, déplorait, malheur, infortune, le malheureux se met à hurler, l’infortunée, malheur, gémissement, désastre, mort, honte, tous les malheurs qu’on peur nommer.

-         Grâce à l’hypotypose, le messager montre aux spectateurs ce qu’ils ne peuvent pas voir (pour des raisons à la fois techniques et morales) :

-         la vue : tes yeux n’ont pas vu, c’est vers lui que nous dirigeons nos regards, nous voyons sa femme pendue, à ce spectacle, ce qu’on vit, ils ne le verraient, ils continueraient à regarder ceux qu’il ne devait pas voir, il levait les bras vers ses yeux.

-         l’ouïe : criant, il poussa un cri terrible, se met à hurler, en exhalant ces plaintes funèbres.

-         nombreux verbes de mouvement.

-         Toutes des précisions font du messager un témoin digne de foi, en même temps qu’elles suscitent la pitié chez le spectateur devant tant de souffrances.

           

2. Un récit effrayant (deuxième fonction de la tragédie) :

-         Tout concourt à effrayer le spectateur, la violence est omniprésente, que ce soit celle des hommes ou celle des dieux :

-         Le geste de Jocaste (s’arrachant les cheveux à pleines mains) est un rituel de deuil (quand on veut manifester son deuil, on se rase les cheveux et on couvre son corps de cendres, afin de s’assimiler au cadavre) : Jocaste s’assimile donc à Laïos mort.

-         Œdipe manifeste clairement une volonté de tuer sa mère (sa mère, champ doublement fécond où il voulait plonger son arme) : il assimile sa mère à nouveau à Laïos en voulant lui faire subir le même sort.

-         Par sa mutilation, Œdipe retourne cette violence contre lui-même (ce qu’on vit, vraiment, fur horrible, plaintes funèbres) : à l’instar de Tirésias il devient aveugle, maintenant qu’il sait.

-         En évoquant l’intervention des dieux (un dieu guide sa fureur / comme si quelqu’un le dirigeait), le messager propose une interprétation tragique de cette scène : Œdipe est le jouet des dieux. La fin du récit montre le retournement du bonheur en malheur.

 

3. Un récit à déchiffrer :

-         Le texte présente un certain nombre de symboles qui, comme l’énigme de la Sphinx, demandent à être interprétés :

-         Le parricide et l’inceste sont mis sur le même plan avec l’image du champ doublement fécond où il voulait plonger son arme : traditionnel substitut du sexe, l’arme reproduit dans la sexualité incestueuse la violence exercée contre le père.

-         Les punitions que s’inflige chacun des deux personnages se correspondent et s’éclairent l’une l’autre :

-         Jocaste se suicide dans la chambre à coucher avec une corde du lit dans lequel elle a commis l’inceste.

-         Œdipe s’aveugle avec les agrafes qui, retenant les vêtements féminins, voilaient la nudité de sa mère et qu’il a ôtées pour commettre l’inceste (cf. une expression euphémistique analogue en grec : « dénouer la ceinture d’une femme », c’est faire l’amour avec elle). A l’arme-sexe fouillant le ventre de Jocaste répond l’agrafe féminine fouillant les orbites d’Œdipe.

 

Conclusion :

Avec le récit du messager s’expliquent enfin les oracles des dieux et l’énigme de la Sphinx : Œdipe, devenu aveugle et se guidant de son bâton, est lui-même la réponse à l’énigme, l’animal qui marche à trois pattes au soir de sa vie. Il se connaît enfin pour ce qu’il est, conformément à l’inscription sur le temple d’Apollon à Delphes : « Connais-toi toi-même ».