Lucien, Histoire vraie, I, 5-8

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Dès les premières pages, Lucien prévient le lecteur qu'il va raconter un voyage qu'il n'a jamais fait, et auquel il importe donc de ne pas accorder la moindre créance. Il commence ensuite son récit et relate comment il s'embarque sur un navire en direction du couchant et fait escale au pays du vin.

 

[1,5] Ὁρμηθεὶς γάρ ποτε ἀπὸ Ἡρακλείων στηλῶν καὶ ἀφεὶς εἰς τὸν ἑσπέριον ὠκεανὸν οὐρίῳ ἀνέμῳ τὸν πλοῦν ἐποιούμην. αἰτία δέ μοι τῆς ἀποδημίας καὶ ὑπόθεσις ἡ τῆς διανοίας περιεργία καὶ πραγμάτων καινῶν ἐπιθυμία καὶ τὸ βούλεσθαι μαθεῖν τί τὸ τέλος ἐστὶν τοῦ ὠκεανοῦ καὶ τίνες οἱ πέραν κατοικοῦντες ἄνθρωποι. τούτου γέ τοι ἕνεκα πάμπολλα μὲν σιτία ἐνεβαλόμην, ἱκανὸν δὲ καὶ ὕδωρ ἐνεθέμην, πεντήκοντα δὲ τῶν ἡλικιωτῶν προσεποιησάμην τὴν αὐτὴν ἐμοὶ γνώμην ἔχοντας, ἔτι δὲ καὶ ὅπλων πολύ τι πλῆθος παρεσκευασάμην καὶ κυβερνήτην τὸν ἄριστον μισθῷ μεγάλῳ πείσας παρέλαβον καὶ τὴν ναῦν—ἄκατος δὲ ἦν—ὡς πρὸς μέγαν καὶ βίαιον πλοῦν ἐκρατυνάμην.

[1,6] ἡμέραν οὖν καὶ νύκτα οὐρίῳ πλέοντες ἔτι τῆς γῆς ὑποφαινομένης οὐ σφόδρα βιαίως ἀνηγόμεθα, τῆς ἐπιούσης δὲ ἅμα ἡλίῳ ἀνίσχοντι ὅ τε ἄνεμος ἐπεδίδου καὶ τὸ κῦμα ηὐξάνετο καὶ ζόφος ἐπεγίνετο καὶ οὐκέτ´ οὐδὲ στεῖλαι τὴν ὀθόνην δυνατὸν ἦν. ἐπιτρέψαντες οὖν τῷ πνέοντι καὶ παραδόντες ἑαυτοὺς ἐχειμαζόμεθα ἡμέρας ἐννέα καὶ ἑβδομήκοντα, τῇ ὀγδοηκοστῇ δὲ ἄφνω ἐκλάμψαντος ἡλίου καθορῶμεν οὐ πόρρω νῆσον ὑψηλὴν καὶ δασεῖαν, οὐ τραχεῖ περιηχουμένην τῷ κύματι· καὶ γὰρ ἤδη τὸ πολὺ τῆς ζάλης κατεπαύετο. Προσσχόντες οὖν καὶ ἀποβάντες ὡς ἂν ἐκ μακρᾶς ταλαιπωρίας πολὺν μὲν χρόνον ἐπὶ γῆς ἐκείμεθα, διαναστάντες δὲ ὅμως ἀπεκρίναμεν ἡμῶν αὐτῶν τριάκοντα μὲν φύλακας τῆς νεὼς παραμένειν, εἴκοσι δὲ σὺν ἐμοὶ ἀνελθεῖν ἐπὶ κατασκοπῇ τῶν ἐν τῇ νήσῳ.

[1,7] προελθόντες δὲ ὅσον σταδίους τρεῖς ἀπὸ τῆς θαλάττης δι´ ὕλης ὁρῶμέν τινα στήλην χαλκοῦ πεποιημένην, Ἑλληνικοῖς γράμμασιν καταγεγραμμένην, ἀμυδροῖς δὲ καὶ ἐκτετριμμένοις, λέγουσαν Ἄχρι τούτων Ἡρακλῆς καὶ Διόνυσος ἀφίκοντο. ἦν δὲ καὶ ἴχνη δύο πλησίον ἐπὶ πέτρας, τὸ μὲν πλεθριαῖον, τὸ δὲ ἔλαττον —ἐμοὶ δοκεῖν, τὸ μὲν τοῦ Διονύσου, τὸ μικρότερον, θάτερον δὲ Ἡρακλέους. προσκυνήσαντες δ´ οὖν προῇμεν· οὔπω δὲ πολὺ παρῇμεν καὶ ἐφιστάμεθα ποταμῷ οἶνον ῥέοντι ὁμοιότατον μάλιστα οἷόσπερ ὁ Χῖός ἐστιν. ἄφθονον δὲ ἦν τὸ ῥεῦμα καὶ πολύ, ὥστε ἐνιαχοῦ καὶ ναυσίπορον εἶναι δύνασθαι. ἐπῄει οὖν ἡμῖν πολὺ μᾶλλον πιστεύειν τῷ ἐπὶ τῆς στήλης ἐπιγράμματι, ὁρῶσι τὰ σημεῖα τῆς Διονύσου ἐπιδημίας. δόξαν δέ μοι καὶ ὅθεν ἄρχεται ὁ ποταμὸς καταμαθεῖν, ἀνῄειν παρὰ τὸ ῥεῦμα, καὶ πηγὴν μὲν οὐδεμίαν εὗρον αὐτοῦ, πολλὰς δὲ καὶ μεγάλας ἀμπέλους, πλήρεις βοτρύων, παρὰ δὲ τὴν ῥίζαν ἑκάστην ἀπέρρει σταγὼν οἴνου διαυγοῦς, ἀφ´ ὧν ἐγίνετο ὁ ποταμός. ἦν δὲ καὶ ἰχθῦς ἐν αὐτῷ πολλοὺς ἰδεῖν, οἴνῳ μάλιστα καὶ τὴν χρόαν καὶ τὴν γεῦσιν προσεοικότας· ἡμεῖς γοῦν ἀγρεύσαντες αὐτῶν τινας καὶ ἐμφαγόντες ἐμεθύσθημεν· ἀμέλει καὶ ἀνατεμόντες αὐτοὺς εὑρίσκομεν τρυγὸς μεστούς. ὕστερον μέντοι ἐπινοήσαντες τοὺς ἄλλους ἰχθῦς, τοὺς ἀπὸ τοῦ ὕδατος παραμιγνύντες ἐκεράννυμεν τὸ σφοδρὸν τῆς οἰνοφαγίας.

[1,8] Τότε δὲ τὸν ποταμὸν διαπεράσαντες ᾗ διαβατὸς ἦν, εὕρομεν ἀμπέλων χρῆμα τεράστιον· τὸ μὲν γὰρ ἀπὸ τῆς γῆς, ὁ στέλεχος αὐτὸς εὐερνὴς καὶ παχύς, τὸ δὲ ἄνω γυναῖκες ἦσαν, ὅσον ἐκ τῶν λαγόνων ἅπαντα ἔχουσαι τέλεια—τοιαύτην παρ´ ἡμῖν τὴν Δάφνην γράφουσιν ἄρτι τοῦ Ἀπόλλωνος καταλαμβάνοντος ἀποδενδρουμένην. ἀπὸ δὲ τῶν δακτύλων ἄκρων ἐξεφύοντο αὐταῖς οἱ κλάδοι καὶ μεστοὶ ἦσαν βοτρύων. καὶ μὴν καὶ τὰς κεφαλὰς ἐκόμων ἕλιξί τε καὶ φύλλοις καὶ βότρυσι. προσελθόντας δὲ ἡμᾶς ἠσπάζοντο καὶ ἐδεξιοῦντο, αἱ μὲν Λύδιον, αἱ δ´ Ἰνδικήν, αἱ πλεῖσται δὲ τὴν Ἑλλάδα φωνὴν προϊέμεναι. καὶ ἐφίλουν δὲ ἡμᾶς τοῖς στόμασιν· ὁ δὲ φιληθεὶς αὐτίκα ἐμέθυεν καὶ παράφορος ἦν. δρέπεσθαι μέντοι οὐ παρεῖχον τοῦ καρποῦ, ἀλλ´ ἤλγουν καὶ ἐβόων ἀποσπωμένου. αἱ δὲ καὶ μίγνυσθαι ἡμῖν ἐπεθύμουν· καὶ δύο τινὲς τῶν ἑταίρων πλησιάσαντες αὐταῖς οὐκέτι ἀπελύοντο, ἀλλ´ ἐκ τῶν αἰδοίων ἐδέδεντο· συνεφύοντο γὰρ καὶ συνερριζοῦντο. καὶ ἤδη αὐτοῖς κλάδοι ἐπεφύκεσαν οἱ δάκτυλοι, καὶ ταῖς ἕλιξι περιπλεκόμενοι ὅσον οὐδέπω καὶ αὐτοὶ καρποφορήσειν ἔμελλον.

 

[1,5] Parti un jour des colonnes d'Hercule, et porté vers l'Océan occidental, je fus poussé au large par un vent favorable. La cause et l'intention de mon voyage étaient une vaine curiosité et le désir de voir du nouveau : je voulais, en outre, savoir quelle est la limite de l'Océan, quels sont les hommes qui en habitent le rivage opposé. Dans ce dessein, j'embarquai de nombreuses provisions de bouche et une quantité d'eau suffisante ; je m'associai cinquante jeunes gens de mon âge, ayant le même projet que moi : je m'étais muni d'un grand nombre d'armes, j'avais engagé, par une forte somme, un pilote à nous servir de guide, et j'avais fait appareiller notre navire, qui était un vaisseau marchand, de manière à résister à une longue et violente traversée.

[1,6] Pendant un jour et une nuit, nous eûmes un bon vent, qui nous laissa en vue de la terre, sans nous emporter trop au large. Mais le lendemain, au lever du soleil, la brise devint plus forte, les flots grossirent, l'obscurité nous enveloppa, et il ne fut plus possible d'amener les voiles. Forcés de céder et de nous abandonner aux vents, nous fûmes battus par la tempête durant soixante-dix-neuf jours ; mais le quatre-vingtième, au lever du soleil, nous aperçûmes, à une petite distance, une île élevée, couverte d'arbres, et contre laquelle les flots allaient doucement se briser. Nous nous dirigeons vers le rivage, nous débarquons, et, comme il arrive à des gens qui viennent d'être violemment éprouvés, nous nous, étendons pendant longtemps sur la terre. Enfin nous nous levons ; nous en choisissons trente d'entre nous pour garder le navire, et je prends les vingt autres avec moi pour aller faire une reconnaissance dans l'île.

 

[1,7] Parvenus, au travers de la forêt, à la distance d'environ trois stades de la mer, nous voyons une colonne d'airain portant une inscription en caractères grecs difficiles à lire, à demi effacés et disant : "Jusque là sont venus Hercule et Bacchus." Près de là, sur une roche, était l'empreinte de deux pieds, l'une d'un arpent, l'autre plus petite : je jugeai que la petite était celle du pied de Bacchus, et l'autre d'Hercule. Nous adorons ces deux demi-dieux et nous poursuivons. A peine avons-nous fait quelques pas, que nous rencontrons un fleuve qui roulait une sorte de vin semblable à celui de Chio : le courant était large, profond et navigable en plusieurs endroits. Nous nous sentons beaucoup plus disposés à croire à l'inscription de la colonne, en voyant ces signes manifestes du voyage de Bacchus. L'idée m'étant venue de savoir d'où partait ce fleuve, j'en remonte le courant, et je ne trouve aucune source, mais de nombreuses et grandes vignes pleines de raisins. Du pied de chacune d'elles coulait goutte à goutte un vin limpide, qui servait de source à la rivière. On y voyait beaucoup de poissons, qui avaient la couleur et le goût du vin ; nous en pêchons quelques-uns, que nous mangeons et qui nous enivrent ; or, en les ouvrant, nous les trouvons pleins de lie ; aussi nous prîmes plus tard la précaution de mêler des poissons d'eau douce à cette sorte de mets, afin d'en corriger la force.

 

[1,8] Après avoir traversé le fleuve à un endroit guéable, nous trouvons une espèce de vignes tout à fait merveilleuses : le tronc, dans sa partie voisine de la terre, était épais et élancé ; de sa partie supérieure sortaient des femmes, dont le corps, à partir de la ceinture, était d'une beauté parfaite, telles que l'on nous représente Daphné, changée en laurier, au moment où Apollon va l'atteindre. A l'extrémité de leurs doigts poussaient des branches chargées de grappes ; leurs têtes, au lieu de cheveux, étaient couvertes de boucles, qui formaient les pampres et les raisins. Nous nous approchons ; elles nous saluent, nous tendent la main, nous adressent la parole, les unes en langue lydienne, les autres en indien, presque toutes en grec, et nous donnent des baisers sur la bouche ; mais ceux qui les reçoivent deviennent aussitôt ivres et insensés. Cependant elles ne nous permirent pas de cueillir de leurs fruits, et, si quelqu'un en arrachait, elles jetaient des cris de douleur. Quelques-unes nous invitaient à une étreinte amoureuse ; mais deux de nos compagnons s'étant laissé prendre par elles ne purent s'en débarrasser ; ils demeurèrent pris par les parties sexuelles, entés avec ces femmes, et poussant avec elles des racines : en un instant, leurs doigts se changèrent en rameaux, en vrilles, et l'on eût dit qu'ils allaient aussi produire des raisins.